Le nu est le propre de l’homme. Le représenter, une de ses manières
d’exister. Cette activité a de lourdes influences sur l’évolution de la
société, qu’elle accompagne ou contrecarre. Sur celle de l’artiste
aussi. Et l’art rend possible ce que la vie étouffe. La manière qu’il
a, de cabosser la réalité- touffeur des chairs, cuisses équarquillées,
vulves ombrées, vastes seins-, réjouit notre inépuisable vampirisme.
Ces corps, leurs lignes, qui dansent, rêvent ou meurent, leurs
couleurs, par elles encloses, sont néanmoins les caractères de l’oeuvre.
Les artistes, dans leurs mises à nu, se confrontent aux thèmes qui
toujours ont préoccupé l’homme : le temps, l’angoisse, la mort et la
sexualité, les idéaux, les obsessions ; et c’est le corps nu qui
exprime le mieux tout ce que nous convoitons et tout ce que nous
craignons.
Aussi le nu fait-il fonction d’abyme, dans lequel le spectateur peut et
doit affronter sa ressemblance, épineuse ou non...Le nu perce à jour,
montre ce qu’il cache. Souligne les frustrations. Fait grésiller le
désir. Le nu contraint à l’immédiate confrontation avec l’oeuvre d’art
- dans la voluptueuse complicité de notre regard.
Aujourd’hui, n’était la bouillie nauséeuse d’images de corps
déshabillés, de beaux cadavres peroxydés que déversent publicités et
médias, la pornographie en ligne, le nu peut encore, suivant le goût,
les croyances religieuses, le milieu culturel ou l’identité sexuelle de
l’observateur, briser des tabous. Il ne fait aucun doute que l’homme du
XXIème siècle trouvera dans cette histoire du nu dans l’art occidental
- des épaisses Vénus préhistoriques aux femmes-épingles de Giacometti-,
la permanence de son identité. Ce vers quoi il tend désespérément.