Nu artistique Le nu en dessin. Dessin sur métal,Etain
 
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Les artistes de l'Antiquité voyaient le corps humain nu comme le parfait reflet de l'ordre divin. Au Moyen Âge, l'érotisme émanant d'un corps nu était considéré comme un péché. En 1866, Courbet fit scandale avec sa représentation détaillée d'un entrejambe féminin. Ulf Küster raconte l'évolution du nu dans l'histoire de l'art, de l'Antiquité à l'art contemporain.

L’histoire de l’art est celle de la réflexion de l’homme sur lui-même. L’homme visible, authentique, « pur », est l’homme nu, et l’histoire du nu est en grande partie celle d’une interrogation : l’homme peut-il être son propre objet de questionnement artistique ? Entièrement et sans réserve ? En allemand, le nu dans l’art est désigné par le terme « Akt », du latin « actus », qui signifie action, mouvement. En effet, l’un des problèmes récurrents des arts plastiques, somme toute des plus banals, est la représentation du mouvement – chose impossible, évidemment. Si l’on y regarde bien, même les vidéos, les films et les nouveaux médias composés de pixels ne proposent qu’un défilement d’images fixes. Néanmoins, il importe de bien se rendre compte que le nu cherche toujours aussi, quelque part, à donner l’illusion du mouvement, quitte à se contenter d’un mouvement arrêté. Dans le nu, la « pose » est presque aussi parlante que la nudité.


Dans la Grèce antique, dont l’art romain était imprégné, l’homme nu était, dans des attitudes diverses, l’image d’une absolue perfection, le reflet d’un ordre divin. L’idéal du beau développé dans l’antiquité et illustré dans la statuaire prévaut encore de nos jours. Mais il faut bien être conscient que les images de ces femmes délicates et de ces hommes athlétiques, qui ont l’air si naturel, qui dégagent tant d’érotisme, et qui sont à l’origine de notre sens esthétique, ne sont justement que des images idéales construites probablement selon des concepts mathématiques.

A la fin de l’antiquité et au Moyen Age, le réalisme apparent des nus antiques, la régularité de leurs traits et leur pouvoir érotique sont devenus incompatibles avec la religion chrétienne dont l’influence grandit. Hérité du judaïsme, le commandement biblique de ne pas représenter Dieu ni sa création, est bien une interdiction : celle de se mettre à la place de Dieu car Dieu a créé l’homme à son image. Si donc les hommes, comme dans l’antiquité, créent d’eux-mêmes une image idéale, proche de la réalité, ils créent du même coup une image de Dieu, ce qui est considéré comme un blasphème, un acte d’orgueil. En plus de l’érotisme qu’il dégage, le corps nu est honteux et matériel, par opposition à l’âme, immatérielle. Il est donc intéressant de noter qu’au Moyen Age, qui jamais ne s’est soumis à une interdiction absolue de l’image, des nus ont été représentés quand l’exigeait le sujet biblique choisi pour illustrer des manuscrits ou décorer des églises. La naissance d’Adam et Eve ou la représentation des morts, plus précisément des âmes damnées ou sauvées, en sont quelques exemples – mais la ressemblance physique en était volontairement prohibée.

L’étude de l’homme comme objet des sciences naissantes, au sens moderne, la « redécouverte » de l’antiquité à l’époque de la Renaissance, s’est manifestée par une relation nouvelle de l’homme à son corps, par une sorte de retour à l’idéal antique. Pour les artistes, le corps humain devient un modèle. Mais il ne faut en aucun cas oublier que la représentation de l’homme nu était soumise à des règles strictes, ce qui était plus particulièrement vrai pour la représentation du sexe, notamment féminin, plus ou moins tabouisée encore durant une bonne partie du XIXe siècle. Pendant très longtemps, il a été beaucoup plus évident, dans les écoles des beaux-arts, de copier les antiques que de dessiner d’après le modèle vivant. De sorte qu’au début de l’ère moderne, l’idéal classique, diversement interprété, a servi de régulateur entre l’observateur et l’image du nu.

Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour commencer à voir des reproductions fidèles, impitoyables, du corps humain, parallèlement à l’apparition de la photographie qui ne possède qu’un potentiel réduit en matière d’idéalisation. C’est par exemple l’apparente précision de la photo qui permettra aux peintres de représenter des poils pubiens… La scandaleuse toile de Gustave Courbet qui, sous le titre L’Origine du monde, représente un sexe féminin, n’aurait pas vu le jour sans l’implacable exactitude de la photographie.

Peu de temps après qu’il était devenu possible de représenter le nu sans exagération ni altération mais juste comme il était, l’art s’est à nouveau détourné de la réalité. En 1907, Picasso marque un tournant en peignant Les Demoiselles d’Avignon : jamais plus le nu ne sera ce qu’il était. L’influence des arts premiers, la découverte de l’inconscient par la psychanalyse, la valeur intrinsèque de la couleur et de l’expression qui se désolidarisent de la réalité du sujet, et enfin le développement fulgurant des techniques photographiques ont rendu superflu tout effort d’exactitude. De nos jours, les artistes ne se sentent plus obligés de représenter la nature dans son idéale perfection. Le nu, pour peu qu’il soit encore un thème iconographique, consisterait plutôt à chercher comment figurer les aspects cachés de l’être humain.

Texte : Ulf Küster (traduit de l'allemand)